L’effondrement d’une tour résidentielle en Floride le mois dernier a eu des échos jusqu’au Québec, où plusieurs organisations et experts recommandent une surveillance obligatoire des chantiers et un meilleur entretien des bâtiments. Le gouvernement Legault se dit à l’écoute.
« C’est tellement inexplicable. Un bâtiment qui s’effondre comme ça et qui s’émiette à ce point, c’est étonnant », lance au Devoir le président de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ), Pierre Corriveau, encore soufflé par l’effondrement, le 24 juin dernier, de la Champlain Towers South, une tour de 12 étages. Le décompte des morts n’a cessé de grimper dans les derniers jours.
Les causes de cette tragédie, survenue à Surfside, demeurent nébuleuses. Un rapport d’une firme d’ingénierie avait néanmoins fait état en 2018 d’une importante détérioration de la structure de béton présente dans le stationnement souterrain du bâtiment, ont rapporté plusieurs médias américains. Quelques mois avant l’effondrement de l’immeuble, un autre rapport avait fait d’état d’une dégradation du béton situé près de la piscine de celui-ci, tandis que la présidente de l’assemblée des copropriétaires de la tour s’inquiétait dans une lettre datée du mois d’avril de la dégradation rapide du bâtiment.
Au nord de la frontière, une question émerge : une telle tragédie, aussi rare soit-elle, pourrait-elle survenir au Québec ? « Oui, ça peut arriver, mais les risques sont infimes », tranche M. Corriveau, qui assure que des règles encadrent la conception des bâtiments dans la province.
On joue un peu avec le feu compte tenu du fait qu’on s’en tient à la compétence des entrepreneurs [sur les chantiers de construction]. Ça peut être une patate chaude. — Pierre Corriveau
Resserrement des règles
Les normes entourant l’inspection des grands bâtiments résidentiels au Québec ont d’ailleurs été resserrées en 2013 à la suite d’accidents mortels survenus à Montréal quelques années plus tôt. En juillet 2009, une femme de 33 ans a perdu la vie après qu’un bloc de béton se fut détaché du 18e étage d’un hôtel de la rue Peel, au centre-ville de la métropole, pour aboutir sur la table du restaurant où elle se trouvait en présence de son compagnon, qui, lui, a survécu. Moins d’un an plus tôt, en novembre 2008, une partie du stationnement souterrain d’un immeuble résidentiel de 14 étages situé dans l’arrondissement de Saint-Laurent s’était effondrée, tuant un homme dans la trentaine.
Ainsi, depuis mars 2013, les propriétaires d’immeubles de cinq étages et plus qui ont été construits depuis au moins 10 ans sont dans l’obligation de faire inspecter la façade et le stationnement étagé de ceux-ci de façon approfondie tous les cinq ans par un ingénieur. Ce n’est toutefois que lorsqu’un danger imminent est repéré que les rapports d’inspection sont acheminés à la Régie du bâtiment du Québec. Certains « gestionnaires d’immeubles » ignorent par ailleurs l’existence de ces exigences, constate l’ingénieur en structure André Houle.
« Ce n’est pas systématique […] Quand vous n’inspectez pas, vous ne savez pas. C’est là qu’il y a un trou dans le système », laisse-t-il tomber.
Les copropriétaires sont par ailleurs souvent réticents à approuver des travaux de rénovation de la structure de leur immeuble, de crainte que cela ait pour effet de faire gonfler leurs frais de copropriété, évoque pour sa part le secrétaire général du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec, Yves Joli-Cœur. « Il y a de la misère qui est en train de s’installer dans les immeubles », estime-t-il.
Pour remédier à cette situation, le professeur en génie civil à l’Université Concordia Adel Hanna propose que les inspecteurs du gouvernement Legault et des villes de la province inspectent les bâtiments résidentiels de façon « plus rigoureuse » et impose « une grande pénalité » aux propriétaires immobiliers qui négligent l’entretien de leurs immeubles. « L’entretien des bâtiments, c’est vraiment important », souligne-t-il.
Manque de surveillance
Par ailleurs, l’OAQ et l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) déplorent que le gouvernement Legault n’ait pas encore rendu obligatoire la surveillance des chantiers par des professionnels, comme c’est le cas notamment en Ontario. Ainsi, les promoteurs immobiliers s’assureraient du respect des plans et des devis de leurs projets pendant la construction et éviteraient ainsi d’avoir à réaliser des travaux correctifs pour corriger un vice de construction après coup, souligne la présidente de l’OIQ, Kathy Baig.
« Au Québec, il n’y a aucun contrôle de qualité qui est fait en inspection continue [pendant la construction]. C’est-à-dire que vous pouvez monter une tour de 60 étages et que personne ne va vous dire s’il y a assez d’armatures dans les colonnes ou pas. Il faut s’en remettre à l’entrepreneur », explique également M. Joli-Cœur.
Dans son rapport annuel publié en juin, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, a d’ailleurs soulevé le problème du manque de vérification par la RBQ des compétences et des antécédents des entrepreneurs en construction.
« On joue un peu avec le feu compte tenu du fait qu’on s’en tient à la compétence des entrepreneurs [sur les chantiers de construction]. Ça peut être une patate chaude. Il faut réagir rapidement à la surveillance », dit Pierre Corriveau.
Québec promet d’agir
Joints par Le Devoir, tant la RBQ que le gouvernement du Québec assurent que la possibilité de rendre obligatoire la surveillance des chantiers est envisagée. « Nous avons l’intention de nous y attaquer de façon imminente », souligne le cabinet de la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest. « C’est un élément qui est à l’étude », indique pour sa part le porte-parole de la RBQ, Sylvain Lamothe, qui rappelle par ailleurs que les exigences contenues dans le Code de construction du Québec « sont revues de façon périodique ».
L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) prévient pour sa part qu’une surveillance obligatoire des chantiers pourrait faire monter la facture de ceux-ci d’environ 7 %. « Ce n’est pas vrai que les gens sont prêts à payer ça, contrairement à ce que les ingénieurs disent », dit le directeur du service technique de l’APCHQ, Marco Lasalle. L’OIQ a pourtant mené des sondages qui montrent un appui de la population à une telle mesure, malgré la facture qui y est associée.
Chose certaine, tant les architectes et les ingénieurs que la RBQ et Québec attendent avec impatience de voir ce qui ressortira de l’enquête en cours pour élucider les causes du drame survenu en Floride le mois dernier. « Si jamais il y a des informations qui nous portent à croire qu’on devrait prendre des mesures [pour améliorer nos façons de faire au Québec], on va les prendre, ça c’est certain », affirme Kathy Baig.
Source: Le Devoir
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